Le buveur de bières artisanales d’Amérique du Nord – 1ère partie
« C’est pas de la bière, ça ! » Une interjection que l’amateur de bière entend régulièrement, surtout s’il insiste à partager la bonne nouvelle avec des gens plus ou moins curieux. On pense à des situations captives comme un souper du temps des Fêtes, par exemple. Il répond à l’interjection en riant quelque peu, tentant tant bien que mal d’aider l’oncle ou le beau-frère en question à accepter que ce qu’il perçoit est effectivement une bière. Que l’univers de la bière est bien plus vaste qu’il ne le croit. Mais, sans le savoir, ce passionné amateur est souvent, lui aussi, coupable de fermeture d’esprit. Qu’on le veuille ou non, il est temps d’admettre qu’en Amérique du Nord nos palais et nos cerveaux d’amateurs de bière ont été forgés par la bière commerciale.
Outre certains jeunes néophytes qui ont fait leurs classes en dégustant immédiatement des bières de provenances variées, la grande majorité d’entre nous avons déjà vécu une époque où la bière industrielle dominait nos soirées festives. Nous percevons donc le monde de la bière avec des œillères bien solides. Et lorsqu’on déguste de la bière traditionnelle estonienne, quechua, norvégienne, lituanienne ou africaine, pour ne parler que de celles-là, il faut faire un effort considérable pour sortir de notre cadre de référence et ainsi apprécier ces mousses bien particulières.
La bière allemande et sa portée internationale en est pour beaucoup dans cette standardisation. Après tout, ce sont eux qui ont exporté leur savoir-faire en Asie, en Amérique, en Afrique même, afin de créer des bières légères, faciles à boire et bulleuses. Évidemment, certaines des grandes brasseries d’Amérique qui se sont inspirés de ces bières ont choisi de couper les coins ronds en diluant le produit final afin d’augmenter les marges de profit. Mais la texture de ces bières, ses ingrédients principaux et la majorité des saveurs qui en découlent, ont coulé le buveur de bière artisanale d’Amérique du Nord dans un moule bien solide. S’il veut bien s’en sortir par lui-même afin de profiter de toutes les saveurs qui existent dans cet univers qui lui est supposément si cher, il lui faudra tout d’abord prendre un peu de recul afin de mieux comprendre qui il est.
Alors qu’est-ce que cet amateur nord-américain s’attend à trouver dans sa bière ?
1 – Des bulles piquantes
Qu’elles soient artificielles ou issues d’une refermentation toute naturelle, les bulles se doivent être d’une intensité appréciable pour le buveur de bière artisanale nord-américain. Les spécialistes diront d’au moins 2 volumes de CO2. Les autres diront qu’ils doivent tout simplement sentir la bulle picoter sur la langue et ce, pour la durée de la dégustation.
Ces attentes bien précises envers la gazéification n’outillent pas le buveur nord-américain à apprécier ce qui se brasse en Angleterre, en Lituanie, en contrée quechua, etc. Dans ces pays, la bière traditionnelle diffère grandement de la bière commerciale que l’on connait en ce sens où elle est très peu gazéifiée, laissant la texture se faire construire par les céréales, leurs quelques sucres résiduels, leurs protéines et les quelques bulles naturelles et douillettes.
2 – Une température fraîche ou même froide
De plus en plus de bars de Montréal, comme l’Isle de Garde, le Station Ho*st, le Harricana et l’EtOH, font l’effort d’offrir des bières à diverses températures. Ceci leur permet de mettre en valeur certains aspects des bières que leur fournissent les brasseurs; parfois les céréales caramélisées, qui s’expriment mieux à température plus élevée, parfois l’acidité relevée, qui s’acoquine habituellement à la fraîcheur d’un réfrigérateur.
Ces attentes, encore une fois, font que le palais du buveur de bière artisanale – au même titre que celui du buveur de bière industrielle – peine à apprécier des bières servies température pièce. Encore une fois, plusieurs cultures de par le monde servent leur bière traditionnelle bien plus tiède. On pense à l’Estonie, à l’Angleterre encore une fois, à la Norvège fermière… Même qu’au Bhoutan, on sert la bière presque chaude… Plus d’infos sur ce sujet à venir en 2017.
3- Des saveurs qu’il sait reconnaître
Le buveur allemand face à un lambic y trouverait une quantité innommable de défauts. Bien trop acide, problèmes bactériens, très difficile à boire à grandes gorgées…
L’amateur nord-américain lui peine à reconnaître la chicha en tant que bière. Manque de gazéification, sent trop le maïs (ça doit être du DMS !), la texture est un tantinet floconneuse (des « motons » !)…
Le dégustateur belge froncera les sourcils devant la Kaimiskas Alus lituanienne. Niveau de diacétyl trop élevé, trop sur le malt et son sucre, pas assez bulleuse, etc.
Bref, c’est dans la nature humaine de trouver des défauts quand la bière du moment est différente de celle que l’on a appris à aimer. Nous ne sommes pas des racistes du goût pour autant, mais nous oublions souvent que l’univers de la bière peut être bien plus que ce que l’on pense.
Maintenant… vous voyez-vous déguster une bière presque sans gazéification, servie température pièce et goûtant la branche de conifère ou le riz collant? À vous de décider quand vous êtes prêts à quitter le carcan établi par la bière commerciale de chez nous.
La semaine prochaine, on continue cette prise de conscience en ajoutant quelques standards gustatifs de l’amateur de microbrasseries qui diffèrent grandement, encore une fois, de la bière traditionnelle de plusieurs pays méconnus sur la planète brassicole.