2015 et notre boule de cristal
Alors que souvent en fin de calendrier nous dressons notre bilan de réalisations, revenant nostalgiquement sur nos meilleurs coups de la dernière année, nous avons pensé vous offrir un angle différent sur l’exercice. Voici donc ce que nous avons réalisé — ou observé et peut-être même compris — en 2015. Parce que notre boule de cristal se nourrit souvent de nos souvenirs, cette série de pensées sur un passé brassicole récent nous permettra sûrement de mieux voir le futur de ce milieu que nous aimons tant. Allez hop, on plonge!
Les bières sures sont très populaires… depuis des centaines d’années
L’engouement pour les bières sures peut nous sembler très récent. Évidemment, nous connaissions déjà la Berliner Weisse et les Lambics. À notre grand plaisir, certains brasseurs nord-américains se sont lancés dans cette aventure acidulée ces dernières années. Mais il nous semble maintenant évident que cette fascination pour la bière sure représente, en fait, un retour vers les saveurs d’origine de la bière. Rien de nouveau sous le soleil, quoi. Les Incas, dont les traditions sont perpétuées aujourd’hui par les Quechuas d’Amérique du Sud, brassaient de la bière de maïs issue de fermentation lactique. La chicha était le breuvage alcoolisé de prédilection de millions d’entre eux. Les Aztèques quant à eux produisaient de la pulque, une boisson d’agave de fermentation bactérienne. Acide et très gazéifiée, elle ressemble étrangement à sa cousine allemande, la Berliner Weisse (même si elle ne provient pas de céréales, et que donc nous ne pouvons l’appeler ‘bière’, son processus de fermentation est quasi-identique). Selon les dernières recherches de notre ami Lars Marius Garshol, les fermiers de la région de Hardanger, en Norvège, semblent avoir développé le goût pour une bière maison surette également. Et on en passe. La saveur du jour, les bières sures? Pas vraiment. La saveur du passé, oui. Et d’un futur pas très lointain…
Les Berliner Weisse, pulque, Sour Ale barriquée et chicha traditionnelle possèdent toutes des profils fermentaires cousins
Les grands joueurs surveillent de près ce qui se passe dans le monde de la micro et plus d’acquisitions sont à prévoir, mais le petit marché du Québec n’intéresse pas encore suffisamment Au fil des dernières années, mais de façon encore plus marquée en 2015, des grands brasseurs ont allongé des milliards de dollars pour faire l’acquisition de microbrasseries en vogue, notamment Lagunitas par Heineken, Ballast Point par Constellation (vin), ou Elysian par Anheuser-Busch (qui vient d’ailleurs de se payer Miller, 2e plus grande brasserie du monde!). Même Boréale est passée au Fonds FTQ. Alors que la compétition se fait de plus en plus féroce et que certains pionniers de la microbrasserie québécoise doivent commencer à songer à la retraite, il n’est pas improbable que nous voyons une microbrasserie que nous respectons passer à des intérêts aux intentions nébuleuses. Assistera-t-on un jour à une guerre des prix à l’image des prix de l’essence à la pompe de 39 cents le litre d’il y a une quinzaine d’année et ayant occasionné la faillite de plusieurs indépendants? Espérons que notre douce période de naïveté puisse se poursuivre encore quelques années. Avec un peu de chance, le petit marché de 8 millions d’habitants, majoritairement francophones de surcroît, passera encore sous le radar des grands groupes.
Il est temps pour le milieu de systématiquement dater et réfrigérer ses IPA
Malgré la grande popularité des bières houblonnées aromatiques, la plupart sont encore conservées hors frigo et ne présentent pas de dates d’embouteillage. Bien qu’il y ait amélioration à ce sujet du côté des brasseries (comme Le Castor qui nous offre maintenant des dates sur leur superbe Yakima IPA), reste que certains acteurs importants du milieu, brasseries et boutiques spécialisées, sont coupables de négligence à ce niveau. À tout le moins, il nous semble qu’avec l’engouement présent pour tout ce qui gravite autour du terme ‘IPA’, davantage de détaillants devraient systématiquement réfrigérer ces bières qui se vendent comme des petits chauds. Un frigo à IPA par magasin pour 2016, tiens. On peut bien manipuler notre propre boule de cristal, non?
L’âge d’or de la bière de qualité est dorénavant en vue
La vague microbrassicole prend tellement d’ampleur qu’elle atteint maintenant des régions insoupçonnées de la planète. Des états américains dominés par les géantes brassicoles (comme la Louisiane et le Texas) aux pays traditionnellement viticoles (comme l’Italie et la France, qui comptent plus de 600 brasseries chacune!), la vague microbrassicole rejoint de plus en plus de dégustateurs curieux. Au Québec, des brouepubs et microbrasseries naissent à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, La Tuque, Val d’Espoir, Neuville et quantité d’autres bourgades peu connues. Pendant ce temps, le courant brassicole des endroits les mieux nantis frise le raz-de-marée. Le nombre de brasseries dans la région de San Diego a dépassé la centaine. Même constat en Oregon. Londres vit une explosion sans précédent. La République Tchèque voit apparaître des nouveaux brouepubs aux visées traditionnelles dans plusieurs villages. Et rien n’indique un essoufflement à court terme. Entrevoyons-nous un âge d’or pour l’univers de la bière de qualité dans la prochaine décennie? On dirait bien!
Bien que la vague semble là pour rester, l’industrie n’est pas à l’abri de périls externes : hausse de la taxe spécifique
Dans un monde où le nombre de microbrasseries croît de façon presque exponentielle, il existe une pression à la baisse sur les prix – quoique l’augmentation des prix des matières premières, entre autres, rendent cette pression peu tangible pour le consommateur. Nous oublions souvent toutefois que l’essor des microbrasseries a été grandement facilité par la réduction de la taxe spécifique pour les volumes de production faibles, permettant aux petites brasseries de payer une taxe au litre produit jusqu’à trois fois inférieure au taux des grands brasseurs. L’économie est de plus de 0,40$ le litre, ce qui équivaut presque à obtenir le malt gratuitement. Des menaces récentes, émanant notamment d’une recommandation d’abolition de cette réduction dans le rapport Godbout ont laissé craindre la disparation de cet avantage. Pour plusieurs brasseries, ce serait la différence entre la survie et la mort. Bref, nos brasseries ne sont pas à l’abri de facteurs externes comme les changements de loi qu’elles prenaient pour acquises. À surveiller et ne jamais oublier si on est entrepreneur…
Les amateurs de bière sont rendus bien matures et peuvent s’intéresser à des sujets très pointus
Il y a deux ans, alors que nous présentions notre nouveau coffret de livres au Bateau de Nuit, à Québec, nous avions été agréablement surpris par le niveau élevé d’intérêt que démontrait la salle, non seulement pour Les saveurs gastronomiques de la bière, mais pour nos allocutions moléculaires qui expliquaient le pourquoi et le comment de nos bières gastronomiques servies ce soir-là. En 2015, nous avons poussé davantage dans des sujets obscurs. Des conférences sur la chicha des Quechuas et sur d’autres styles inconnus de l’Occident. Et la réponse fût absolument énergisante, autant au niveau des brasseurs de l’industrie québécoise que des dégustateurs curieux. Il semble temps de reconnaître officiellement que le monde de la bière au Québec est prêt à s’éduquer sur des facettes hyper précises du sujet. L’amateur de bières de qualité est, de toute évidence, pétant de santé!
De notre côté, nos recherches des dernières années se poursuivront en 2016, alors que nous vous reviendrons en force avec la suite de la saga des bières oubliées de Norvège, un nouveau sujet de recherche dans les profondeurs de l’Estonie, ainsi que des escapades éducatives en Angleterre, au Pays-de-Galles et en Irlande. De plus, nos manches sont remplies d’articles qui, comme à l’habitude, viseront à faire évoluer la scène brassicole de chez nous… et chez vous! Sur ce, bon temps des Fêtes! 🙂