La cupcake-isation de la bière, 2e partie
Deuxième partie : Tout de go, les noix de coco et épices à gogo!
La très respectable Alesmith Brewing, de San Diego, propose depuis trois ans maintenant une quinzaine de variantes à sa succulente Speedway Stout lors d’un événement annuel nommé le ‘Speedway Grand Prix’. On peut y découvrir des versions au café Kopi Luwak, aux piments chipotle et morita, à la vanille et noix de coco, aux épices à molé, au latte à la citrouille, etc. Un véritable régal sans doute pour les amateurs de cette bière mythique. En 2016, la Brasserie Dieu du Ciel! de Montréal et St-Jérôme ravira ses fans lors d’un événement similaire. Leur décadente Péché Mortel sera déclinée en douze variétés : aux pêches, au café Kenyan, une version plus sèche, etc.
Ironiquement, Alesmith et Dieu du Ciel! sont les deux brasseries qui ont déclenché la mode de l’Imperial Stout au café en Amérique du Nord au début du millénaire. Non pas par désir de suivre une tendance, mais plutôt par souci de créativité dans un contexte d’harmonie gustative. Là est la clé de leur succès.
De l’autre côté de l’Océan Pacifique, la brasserie japonaise Baird a eu la brillante idée de créer une journée thématique afin de rejoindre une clientèle jusque là froide à l’idée d’essayer une bière plus savoureuse que les omniprésentes lagers insipides. Nous avons pu assister en 2007 à leur festival de bières aux fruits, là où une douzaine de bières fruitées, au mikan, au yuzu et au dai-dai, pour ne nommer que celles-là, coulaient des pompes de leur bar de Numazu. Les sourires sur les visages des festivaliers en disaient long sur le succès de cette idée. Plus récemment, la brasserie américaine Ballast Point tentait également de décupler le succès de leur excellente Sculpin IPA en la traitant au pamplemousse, au piment habanero, au mai-tai, au gingembre, aux fruits de la passion et on en passe. Lorsque l’harmonie et le talent sont de la partie, on peut bien évidemment prendre plaisir à découvrir de nouveaux angles excitants sur nos chefs d’oeuvres favoris. Un brasseur talentueux est après tout un chef d’orchestre dont nous ne voudrions en aucun cas baliser la créativité.
La première succursale de Baird Brewing, à Numazu
À la fois victimes et agresseurs?
Récemment, la brasserie Hangar 24, en banlieue de Los Angeles, a décidé de profiter de l’engouement pour leur excellente Hammerhead Barley Wine en la déclinant, comme le veut la mode du jour, au café dans une bouteille et au chaï dans l’autre. La version au café sentait le piment vert à plein nez. Son alter ego au chai était une explosion de cardamome qui détruisait tout lien gustatif avec la superbe bière de base. Au diable la parcimonie et le bon goût.
Constat similaire chez Cigar City de Tampa, cette brasserie que nous encensions il y a quelques années pour son concept novateur, qui aujourd’hui étire la sauce de plusieurs de ses bières avec des jus artificiels. Pardonnez notre ferveur sur le sujet, mais nous sommes encore hantés par le souvenir d’une Peach IPA à leur salon de dégustation qui goûtait le suçon d’Halloween.
Avons-nous affaire à des entrepreneurs gourmands qui forcent leurs brasseurs à utiliser des ingrédients avec lesquels ils n’ont jamais travaillé? Peut-être. Est-ce que ce sont les brasseurs qui sont excités par l’idée de simplement décliner leurs recettes gagnantes en multiples versions afin d’augmenter le rendement de la brasserie? Sûrement pas faux dans certains cas. Mais si on en juge par les files d’attente et l’énervement causé par ces événements de déclinaisons, cette tendance est largement soutenue… par l’amateur de bière artisanale.
Facile à comprendre: la nouveauté brassicole ne cesse de gagner en popularité. Plusieurs dépanneurs offrent d’ailleurs une section nouveauté maintenant pour le passionné de bières à la curiosité insatiable. Et nous sommes les premiers coupables. Nous cultivons encore le désir de demeurer au courant de ce qui est disponible sur le marché et donc nous voulons avoir essayé les derniers trucs de l’heure quitte à acheter n’importe quoi d’une brasserie qu’on respecte. Ça incite, voire ça force les brasseurs à se renouveler sans cesse. Tant et aussi longtemps que nous soutiendrons ce marché, les brasseurs et boutiques spécialisées seront forcés de l’alimenter.
Il n’y a bien sûr rien de mal à explorer, à tenter de parfaire nos papilles, à multiplier son plaisir. Cependant, nous craignons cette dilution du bon goût que nous apercevons chez plusieurs brasseries de renom à quelques kilomètres seulement de chez nous. Cela revient à nous, consommateurs de bières de qualité, d’approcher le tout avec discernement et d’encourager davantage les bières maitrisées par une brasserie au lieu de délier les cordons de sa bourse à chaque fois que l’on voit une nouvelle étiquette.
La brasserie J.Wakefield, à Miami, est une des leaders dans ce phénomène de cupcake-isation. Tous les styles peuvent y passer, de la sempiternelle Imperial Stout aux plus délicates Berliner Weisses et Kottbusser.
Lors de la suite de cette série d’articles sur ce que nous appelons la cupcake-isation de la bière, nous abordons le postulat suivant : le beer geek est en train d’oublier que la bière est composée de céréales.