Les dangers de l’homogénéisation de la bière artisanale
Le bar à bière le plus à la mode de Helsinki ces temps-ci est le Sori Taproom. Au menu, une vingtaine de bières en fûts et quelques bouteilles bien choisies de Finlande, mais aussi d’Estonie, de Russie, d’Espagne et des États-Unis. En surface, on y trouve la diversité à laquelle on s’attend de l’univers de la bière artisanale. Toutefois, lorsqu’on regarde de plus près, on remarque tout autre chose. Près de 80% des lignes servent une variation sur la IPA ou sur une bière sure à la façon Nouveau Monde.
Les estaminets les mieux nantis en bière spécialisée de Paris, comme L’Atalante, suivent également cette tendance. Un de ses fondateurs, Merlin Reynaud, admet que sa « clientèle privilégie toujours les bières houblonnées. La mode des IPA DDH, Double IPA, des New Zealand IPA, New England IPA, toutes les "Hazy IPA" a cartonné toute l'année ; c'est vraiment la grosse tendance de l'année avec les Berliner Weisse aux fruits ». Force est d’admettre que la même réalité opère dans la majorité des établissements « craft » de Paris à Nantes, de Lyon à Bordeaux.
Même constat au réputé BierCab de Barcelone et au Barbarian, à Lima, au Pérou. En voyageant un peu, on remarque rapidement que des douzaines et des douzaines de bars spécialisés de par le monde essaient maintenant d’avoir une ardoise semblable à celle des plus populaires bars de Brooklyn, de San Diego, de Portland…
Rien de nouveau sous le soleil si nous parlions de bière industrielle. Après tout, la bière de masse des fins fonds de l’Asie est une cousine de plusieurs lagers industrielles d’Europe continentale, qui elles sont à toutes fins pratiques pareilles à celles de l’Afrique subsaharienne ou à celles servies dans la plupart des stades de baseball américains. L’industrialisation vorace a fait de la bière à bas prix de vulgaires fac-similés sans personnalité partout sur la planète. Un article de Chris O'Brien, publié il y a une bonne douzaine d'années chez Foreign Policy in Focus, résume bien les dangers socio-culturels d'une telle homogénéisation de la bière industrielle sur la planète.
Évidemment, cette constatation n’est qu’un maigre symptôme d’un phénomène beaucoup plus inquiétant : l’homogénéisation des cultures. Paul Hopper, dans son livre ‘Understanding Cultural Globalization’, postule que la domination de la langue anglaise dans les communications internationales, et ensuite des idéologies de l’Ouest, en est pour beaucoup. Et les conséquences potentielles sont bien plus alarmantes que celles reliées au monde brassicole. Disparition de certaines langues, de certaines traditions, de certains peuples même...
Alors, comment l’univers de la bière artisanale peut-elle faire sa petite part afin de contrer cette nouvelle tendance à l’homogénéisation ? C’est assez simple : en faisant un choix de consommation. En achetant des bières locales à saveur locale (et de tradition locale, lorsque possible). En Finlande, on demande davantage de Sahti. En France, beaucoup plus de bières du Nord. Dans des pays sans passé brassicole, on commande des bières mettant à profit des ingrédients locaux, aromates comme malts et houblons de base. Il faut que le consommateur réalise qu’en désirant une IPA à l’américaine en arrivant au Pérou, en Norvège, en Thailande, il contribue à cette homogénéisation de la culture bière.