Vers un plus grand respect des textures de la bière – 4e partie
4e partie: « Back to the Future » et à l’envers…
Lors de notre troisième billet sur le sujet, non moins de 14 brasseurs québécois se sont prononcés sur la faisabilité de varier les niveaux de gazéification lors du service de la bière en fût dans leurs établissements. Vous pouvez lire leurs réactions ici. Vous pouvez également prendre connaissance des deux articles qui ont fait naître ces nombreuses réactions ici et ici; c’est là que nous exposons ce qui pourrait être la prochaine vague dans la fulgurante ascension d’une scène brassicole visant une expérience de dégustation encore plus relevée.
En réponse donc aux inquiétudes de gens de l’industrie vis-à-vis le manque de demande de la clientèle pour des textures variées lors du service de la bière de spécialité en fût (en référence au troisième billet cité précédemment), nous vous proposons de visiter le passé ensemble. En fait, un passé presque fictif. Retournons donc en 1988, il y a 25 ans. Mais dans un univers parallèle. Nous sommes attablés dans un des premiers brouepubs d’Amérique. Appelons-le… l’Étalon Noir. On boit une ale blonde et une ale rousse bien intéressantes de cette nouvelle brasserie artisanale, une des premières sur le territoire. Arrive soudainement un jeune homme fringant, pétillant de bonne humeur. Appelons-le… Marco Serre. Il connait quand même bien les proprios du brouepub parce que Marco est connu dans le milieu par ses pèlerinages brassicoles et sa passion quasi-obsessive pour la bière de qualité. Il s’approche du bar, non loin de notre table, et accoste le propriétaire. Nous tendons l’oreille:
Marco Serre: « Salut Paul, qu’est-ce que t’as à l’ardoise bière aujourd’hui? Mes papilles pétillent! »
Paul, le proprio: « J’ai deux ales à l’anglaise, une blonde, une rousse. Des genres de Bitter, comme diraient les spécialistes comme toi. »
Marco: « Intéressant, je les aime bien tes Bitters… Je te prends la Blonde. En passant, t’as jamais pensé faire une bière d’inspiration belge? Je reviens d’une tournée des monastères trappistes encore et je trouve leurs bières absolument enivrantes de complexité. Il me semble que ça serait une belle façon pour toi de rehausser ton offre et peut-être même d’inspirer d’autres brasseurs du coin. »
Paul: « J’aime les bières belges autant que toi, Mario, mais es-tu conscient des difficultés que mon brasseur devrait affronter à faire deux types de bières complètement différents dans la même brasserie? Sans compter les coûts supplémentaires de production, d’équipement, de gestion, etc. Dans un monde idéal, ça serait bien plaisant, mais je ne vois pas pourquoi on ferait ça ici. Surtout qu’en bout de ligne, ma clientèle ne me demande JAMAIS ça des bières belges. Ils n’y comprendraient rien à ses saveurs dévergondées, les degrés d’alcool super élevés. »
Marco: « Bah, tu sais qu’il existe certaines microbrasseries de la côte ouest américaine qui brassent autant des bières d’inspiration britanniques que des bières à la belge EN PLUS de brasser des lagers allemandes! C’est complexe, mais c’est la nouvelle vague, j’en suis certain. »
Paul: « Ma clientèle n’est pas au courant de ça, Mario. Euh, Marco. Ce n’est pas parce que trois ou quatre brasseries à 5000 kilomètres d’ici font des acrobaties dans leurs cuves de fermentation que ça va devenir important de le faire ici aussi. On ne commencera pas à changer les levures, les températures et les durées de fermentation si la clientèle ne nous demande pas de faire ce travail… »
‘Back to the future’, maintenant. On sait tous aujourd’hui, en 2013, que plusieurs brasseries ayant réussi à se démarquer sont ces Dieu du Ciel!, Benelux, Trou du Diable et autres Hopfenstark qui savent jongler les nombreux types de bières conçus en Occident et les recréer souvent avec authenticité, avec goût. Il n’y a pas là une recette unique vers le succès, mais ces brasseries qui ont choisi de l’emprunter, malgré les difficultés constantes d’opérer un système de production beaucoup plus complexe que celui qui vise à faire peu de familles de bières différentes, ont su briller et faire parler d’eux bien au-delà de leur quartier original. Est-ce que la prochaine évolution du monde de la bière de dégustation pourrait passer par un jeu des textures plus marqué lors du service de la bière en fût? Nous soutenons toujours que c’est le cas.
L’idée de gazéifier à différents niveaux afin de rehausser l’expérience du dégustateur, en bout de ligne, nécessite d’avoir une ou deux lignes pour des bières sur-gazéifiées (belges et Weizen), une ligne pour la Stout à l’azote (par exemple), une pompe à main pour un cask (gazéification naturelle tranquille) et le reste du bar pour les gazéifications dites moyennes, avec bonbonne de CO2. Un tel bar pourrait servir non moins de 4 textures différentes seulement au niveau de la gazéification. Imaginez si on commence à expliquer au client qu’on joue également avec les sucres résiduels, les types de verre, etc. Les possibilités de décupler le plaisir et d’accroître les connaissances de la clientèle sont très nombreuses. Et c’est peut-être la prochaine façon pour un bar spécialisé ou un brouepub de se démarquer de ses compétiteurs.
Une blanche allemande conditionnée en bouteille possède un niveau de gazéification très élevée, souvent bien au-delà des 3,5 volumes de CO2. Serait-ce possible d'avoir une telle Weissbier servie en fût avec la même effervescence?
Reste que la difficulté principale est de gazéifier une bière au-delà de 3 volumes de CO2, le cask à l’anglaise, le ‘creamer‘ pour le service à l’azote et l’utilisation de bonbonnes de CO2 étant toutes facilement utilisables si un bar le désire bien.
Une suite de la discussion avec certains brasseurs nous a peut-être permis de cerner la solution possible à l’atteinte de cette quatrième texture. Benoit Mercier, du Benelux, nous a rappelé que la pression maximale tolérée par une cuve de gazéification est de 15 PSI. Vraiment trop peu pour pouvoir obtenir le niveau de gazéification souhaitée. Cependant, la pression tolérée par un baril, ou keg, en acier inoxydable, est de 43 PSI. Si on se fie à cette charte démontrant les niveaux de pression par rapport à la température de service nécessaire afin d’atteindre un niveau de gazéification voulue, ne serait-ce pas là la solution la plus envisageable afin de rajouter cette texture effervescente typique aux bières belges et Weissbier allemandes conditionnées en bouteille? Est-ce que cette ‘quatrième’ texture serait plus facilement atteignable via la refermentation en keg?