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Éthiopie

Les richesses de l'Éthiopie - la culture brassicole

Boucher
Un boucher spécialisé en viande crue comme on en trouve souvent dans les villes

Oui, il y a de la Guinness Foreign Extra Stout brassée en Éthiopie depuis peu. Oui, elle est bien plus intéressante au niveau gustatif que toute Guinness embouteillée en Amérique. Et elle est bien plus savoureuse que les lagers industrielles du coin, même si la Habesha Cold Gold est tout sauf désagréable dans le climat impitoyablement sec du nord de l’Éthiopie. Addis Ababa, la capitale, a même deux petits brouepubs dans son quartier le plus moderne. Mais venir en Éthiopie et s’en tenir qu’à ses bières d’inspiration occidentales serait l’équivalent de manger de la pizza à tous les jours pendant son périple. Parce que l’Éthiopie a une culture brassicole qui lui est propre et qui est fort probablement aussi ancienne que celle du café. Voyez par vous-mêmes ce que le Journal of Ethnic Foods en pense...

> Je me promène sur la rue parmi des milliers de pèlerins venus fêter Gena, le Noël orthodoxe éthiopien. Je remarque qu’une dame semble servir de la bière traditionnelle à tous ceux qui en désirent, sans jamais demander un sou. Je reprends foi en l’humanité, encore une fois.

Dans le nord, on l’appelle Suwa, dans le centre, on l’appelle Tella. Mais dans tous les cas, on parle de bière ancestrale conçue à partir de céréales cultivées sur une ferme en bordure de village. Un nombre impressionnant de maisonnées en brassent et en vendent, comme font foi les centaines de petits poteaux ornés de verres colorés faisant office de publicité partout le long des routes résidentielles. À ce niveau, les liens sont nombreux avec la culture de brassage de la Chicha dans les Andes. Mais la bière des Éthiopiens n’a rien à voir avec celle que brassent les dames Quechua.

TellaGlass

> Malgré que le pays soit peuplé de près de 100 MILLIONS d’âmes, je me sens presque seul dans le nord du Tigré. D’ailleurs, j’y croise davantage d’ânes, d’agneaux et de chameaux sur la route que de voitures à proprement dit. Des fois, ça fait vraiment du bien.

Parfois la Tella est brassée à partir d’orge. Après tout, l’orge pousse bien aux altitudes communes dans l’Amhara et le Tigré (les deux régions dominantes du nord du pays), soit souvent au-dessus de 2000m. Mais elle peut parfois être agrémentée de teff aussi, une céréale originaire au plateau éthiopien, et de millet. Comme toute bière véritablement fermière, on la conçoit avec ce que l’on cultive dans les champs avoisinants. Dans tous les cas cependant, la Tella est aromatisée de gesho et non de houblon. Le gesho est un arbuste important dans cette partie de l’Afrique pour ses propriétés gustatives et médicinales. Qu’on utilise ses branches ou ses feuilles, son lien avec la confection de la bière et de Tej (l’hydromel sauvage local) est si fort que les Éthiopiens communiquant avec nous en anglais traduisent ‘gesho’ en ‘hops’, comme si c’était du houblon.

Pour de plus amples informations sur le brassage d'une Tella, voici le travail d’un ingénieur éthiopien en biochimie qui traite du sujet.

Et pour en savoir plus sur les ferments de cette bière, voici l’œuvre de trois biotechnologues de l’Université de Gondar, dans le nord de l'Éthiopie.

> J’arrive à l’aéroport et j’apprends que le système informatisé est hors d’usage. Tous les enregistrements et cartes d’embarquement devront être fait à la main. Je me dis ça va bien se passer. Haha !

Et qu’est-ce que ça goûte la Tella? Très difficile à tirer des conclusions rapides quand on sait que la bière fermière aux recettes familiales remontant le temps varie de maison en maison… et que des millions de femmes éthiopiennes en brassent à leur façon. Ceci dit, on peut dire que la tisane de gesho rajoutée au moût avant fermentation rajoute une verdure boisée aux accents terreux. Comme un thé très longuement infusé et un peu astringent. Et que la bière n’est presque pas gazéifiée (comme c’est souvent le cas en dehors de l’Occident) et faible en alcool. Une bière de table qui goûte la terre où elle a été conçue.

Voici d'ailleurs un sondage effectué dans la bourgade de Fiche, à 50 kilomètres au nord de la capitale, dans lequel on demande aux locaux de signaler la meilleure Tella du coin. Les résultats sont fort intéressants.

> Je stresse pendant tout le voyage de manger de la viande crue. Même les locaux me disent que c’est difficile à digérer. Je le fais quand même à la fin du voyage par pure curiosité gustative. Et je comprends que mon guide du moment nous aime quand j’apprends qu’en nous commandant notre assiettée de viande crue, il s’est assuré de commander la meilleure pièce de l’animal : ce que les locaux appellent le « caramella » : le bonbon de la viande. J’en mange copieusement après avoir découvert sa tendreté exceptionnelle et sa petite sauce berbéré agrémentée de beurre fermier.

Dans le prochain article sur le nord de l’Éthiopie (que vous trouverez dans un lien ci-dessous), on s’attaque à un autre type de bière : la Corafe. Et là, on sort complètement des sentiers brassicoles battus...

TreeRoots
Racines de banyan dominant les murs autour du bain royal de Fasilides, à Gondar

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