Première rencontre avec la Stjørdalsøl
Comme si les nombreuses traditions brassicoles de la Norvège ne suffisaient pas pour titiller tout dégustateur curieux, nous sommes fiers maintenant de vous présenter une nouvelle région avec un héritage brassicole complètement différent et tout aussi unique. Tellement différent même qu’on aurait dit qu’il provienne d’un autre pays complètement. En effet, dans le centre-nord de la Norvège, à plus de 550 kilomètres des fascinants brasseurs de Vossaøl, on y brasse de la Stjørdalsøl. Une bière très fumée, fabriquée à partir de malts faits à la maison, fumés au bois d’aulne. Le seul lien qui unirait cette bière à celles des fjords de l’ouest est qu’elle est traditionnellement brassée à domicile et sert surtout à la consommation personnelle et aux évènements familiaux.
La malterie maison de Roar Sandodden produit à peine 120 kilos de malt du coup, malt qui est fumé au bois d’aulne.
Ces malteurs et brasseurs maison se situent tous dans la région de Stjørdal, soit à quelques kilomètres de Trondheim, une des villes les plus importantes de la Norvège. Hegra et Skatval, deux bourgades près de Stjørdal, recèlent plus de 40 artisans du malt. À Skatval justement, nous nous sommes fait inviter chez Roar Sandodden, fier de nous montrer sa nouvelle malterie maison sise tout juste à côté de sa résidence familiale dans les bois. C’est ici qu’il produit le malt pour la seule Stjørdalsøl au monde à être brassée et embouteillée commercialement: la Alstadberger de la microbrasserie Klostergården.
Sur l’île de Tautra, que l’on voit d’ailleurs lorsque assis dans la cour boisée de Roar, la toute petite microbrasserie Klostergården produit une gamme moderne de bières toutes aussi bien houblonnées les unes que les autres. Mais c’est définitivement le malt artisanal de Roar, fait d’orge à six rangs que l’on met en vedette dans la Alstadberger. Des arômes puissants de bois d’aulne et de fumée dominent une trame fruitée et quelques suggestions rôties. Très loin d’une Rauchbier franconienne ou d’une Smoked Porter. Sa gazéification piquante la trahirait peut-être cependant auprès de buveurs du coin très traditionnels; normal, les bières d’antan étaient encore moins gazéifiées qu’une real ale anglaise servie en cask.
Lorsque nous avons posé quelques questions à Roar quant à la quantité de malteurs artisanaux dans la région, ainsi que leur situation géographique, il nous a répondu qu’il y en avait quelques douzaines. Et même que son voisin, à quelques centaines de mètres de chez lui, possédait une des plus vieilles à sa connaissance. Une grange défraîchie, effectivement, après inspection de votre humble serviteur. Mais toujours utilisée de temps à autre… Bien qu’il y ait une quantité impressionnante de brasseurs maison dans le coin (plus de quatre douzaines participent à un concours annuel de Stjørdalsøl d’ailleurs), ceux-ci ne sont pas tous malteurs, ne possédant pas nécessairement les effectifs et l’espace afin de travailler leurs grains. C’est pourquoi certaines malteries, et parfois certaines brasseries, deviennent communautaires. Plusieurs personnes s’en servent, dans le pur esprit du partage norvégien. Nous avions pu témoigner de cette philosophie communautaire lorsqu’un brasseur de l’ouest nous parlait de ses levures bien particulières nommées ‘kveik’.
Est-ce que toutes ces bières de la région sont des Stjørdalsøl? Pas vraiment, puisque certains les appellent simplement Maltøl, faisant référence au malt maison. Comme la ferme Storli à plus de cent kilomètres de là d’ailleurs. Et certains brassent des bières assez différentes de celle conçue par Roar et Jørn, tout en utilisant des procédés similaires. C’est que ces brasseurs ne suivent pas des guides rigoureux style BJCP, évidemment. Ils brassent ce que leurs ancêtres brassaient, avec les moyens du bord…
La microbrasserie Klostergården possède un bed and breakfast ainsi qu’une salle servant de bar à l’occasion.