Smalahovetunet, ou comment manger un oeil pour mériter un verre
*Avertissement de difficulté: ce voyage brassicole est en partie inaccessible au public, puisque nous visitions des brasseurs maison, mais en partie ouvert à ceux prêts à faire des réservations à l’avance. Ce dernier pré-requis est nécessaire à la découverte du Smalahovetunet, ce restaurant aussi délicieux qu’étrange. Âmes sensibles s’abstenir… *
L’univers de la bière est beau, vaste et authentique. Tellement, que de telles expériences à couper… l’appétit sont encore possibles aujourd’hui. Voici le Smalahovetunet, à Voss. Un restaurant non sans rappeler l’atmosphère de certaines cabanes à sucre québécoises. De grandes salles dans lesquelles s’allongent de longues tables en bois. On ne peut s’y présenter à l’improviste également; les propriétaires doivent savoir combien de repas préparer. Et ce repas unique – tout le monde déguste la même chose – est on ne peut plus traditionnel. Sauf qu’ici, à Voss, la tradition risque de faire blêmir quelques visages pâles. On fume des têtes de mouton. Et on vous les sert sans… artifices, disons.
Mais que faisions-nous ici, à part peut-être satisfaire notre curiosité insatiable pour les plaisirs euh, gastronomiques? Vous avez sans doute deviné que le Smalahovetunet sert de la bière fort particulière. Toutefois, nul ne peut se présenter ici et ne demander qu’une pinte de bière ancestrale. Ce serait bien trop facile. En réalité, Mr. Løne n’a pas le droit de vendre sa bière par elle-même. Par contre, il peut l’offrir à ceux qui achètent le repas qui l’a rendu célèbre. Mais rassurez-vous, cela vaut entièrement l’effort. C’est que dès les premières gorgées, nous avions remarqué une chose. Le ‘kveik’ de Mr. Løne, cette levure traditionnelle très aromatique, était sans aucun doute le même que celui des brasseurs maison que nous avions découverts plus tôt. Faisant donc de cette bière la seule incarnation commercialisée de ce type de bière oubliée de la Norvège. Joie!
Ayant annoncé nos couleurs au propriétaire fort coloré, il nous fit visiter sa brasserie très rudimentaire. On y a reconnu immédiatement l’énorme chaudron en cuivre. Presque du même format que celui dans lequel nous avons brassé à Bulken quelques heures auparavant. Mr. Løne le suspend au-dessus d’un feu de foyer afin de le chauffer. Il utilise également des branches de genévrier comme le faisaient ses ancêtres. Et il fermente le tout dans des cylindres économiques sans la moindre trace d’infection, d’acidification, etc. Rien n’impressionne ce kveik, semble-t-il…
Mais avant d’avoir son propre verre de bière traditionnelle au Smalahovetunet, il faut faire preuve de courage gustatif. Mr. Løne et sa femme nous servent l’assiettée que vous aviez vue plus haut. Ils nous démontrent ensuite qu’il faut manger l’oeil en premier. Raison fort logique: sa texture deviendra ‘moins’ intéressante en se refroidissant. Joie…
Difficile d’oublier l’image d’une dizaine de têtes de mouton empalées sur des pics tournant autour d’une création d’apparence maléfique qui les brûlent à quelques secondes interposées à l’aide de puissantes torches qui leur enlèvent la laine. Si vous visitez le lieu de production de ces têtes de mouton comme nous, vous aurez la chance d’imprimer ce souvenir sur les plus profonds canaux de votre mémoire. Dans ce contexte, l’oeil, contre toute attente, devient presque anodin. Et même plus, il est quasiment délectable. L’arôme de fumaison du plat, fort en bois d’aulne – le même utilisé pour les Stjørdalsøl que nous découvrirons plus tard dans ce périple – captive et fait véritablement saliver. La tendreté de la viande, assez grasse tout de même, n’a d’égal que l’équilibre et la buvabilité de la bière maison que voici:
Mais toute bonne chose a une fin… Rassasiés bien au-delà du nécessaire (je ne parle pas uniquement du copieux repas ici…), nous étions mûrs pour une suite moins intimidante mais tout aussi captivante. Prochaine étape de cette saga des bières oubliées de la Norvège: une ferme reculée à l’ouest d’Oppdal où on produit une bière comme on le faisait avant la venue de l’industrialisation. Tout, mais vraiment tout, est fait à la main…