Les pâturages brassicoles de la Lituanie – Pasvalys et les environs
Avertissement de difficulté: cette portion du guide de voyage n’est pas pour le voyageur exigeant la spontanéité à tout coup. Sans préparation, vous risquez fort bien de vous buter à des portes closes et à des regards peu accueillants. Et même si, comme nous, vous avez un guide et conducteur qui peut contacter tous les brasseurs à l’avance, ainsi qu’un interprète et brasseur-maison qui peut traduire des simples salutations aux détails plus techniques de brassage, des péripéties comme celles décrites ci-dessous pourraient survenir…
Pasvalys est situé entre Pakruojis, où oeuvrent des brasseurs aux bières — et aux histoires — assez particulières, et Biržai, officieusement connue comme la capitale brassicole de la région, là où quelques multinationales brassent aux côtés d’artisans aux méthodes rustiques. Les brasseurs présentés ci-dessous travaillent tous soit à Pasvalys même, soit dans un village tout près.
J. Morkūno
Dans un bâtiment sans inscription commerciale, aux allures de bloc à appartements, vit et travaille depuis quelques décennies Jonas Morkūno (triste addendum: il est décédé deux ans après notre passage), brasseur campagnard. Il concocte une seule bière, la Morkūno Alus. Lors de notre passage en mars dernier, il nous a convaincu qu’il n’avait plus de bière à vendre ou à nous faire goûter. Qu’il avait brassé pour la dernière fois il y a quelques semaines et qu’il attendait le retour de l’été parce que les ventes étaient très calmes à l’hiver et au printemps. Pourtant, une fois revenu à Vilnius quelques jours plus tard, nous avons trouvé sa bière toute fraîche servie au Šnekutis du quartier Užupis… Cette bière portait l’insigne levurée terreuse commune aux Kaimiškas Alus (bières de la campagne lituanienne), en plus d’être sertie d’angles citronnés et herbacés, le tout dans un corps légèrement gazéifié, très facile à boire. Tellement bon qu’on ose espérer un jour déguster à grandes lampées cette bière rafraichissante lors de températures plus clémentes, près de son lieu de confection. Si Monsieur Morkūno veut bien nous en vendre, évidemment…
Joalda
Tard le soir, dans la noirceur presque complète d’une petite rue non éclairée aux abords du village de Joniškėlis (à quelques kilomètres à l’ouest de Pasvalys), nous sommes arrivés chez ce brasseur qui, de toute évidence, produisait de la bière pour une autre clientèle que les brasseurs traditionnels de la campagne. Nous avions adoré sa Pasvaliečių Lengvas lorsque nous l’avions bue en fût à Vilnius. Une bière blonde très propre livrant des malts subtilement miellés aux connotations de foin, construisant un corps soyeux. Entre d’autres mots, une bière facile d’accès mais construite avec énormément de soin à partir d’ingrédients de qualité. Nous étions évidemment bien curieux du reste de sa production, quoique nous aurions été bien heureux de s’abreuver toute la soirée de cette Lengvas à même la source.
Après une visite dans la zone de production, nous avons remarqué que différentes bières étaient brassées sur place, pour la consommation locale. Des bières fortes, titrant toutes au-dessus de 8% d’alcool. Notre interprète nous avoua que ces types de bière sont très populaires dans la région; certains hommes du coin disent même qu’une ‘vraie bière’ doit titrer au moins 8% d’alcool. Évidemment, ces bières viriles se vendent en rien de moins qu’un litre et sont parfois dans des contenants en plastique de deux(!) litres… C’est en s’attendant à une version lituanienne d’une Wildcat Strong donc que nous avons approché notre dégustation des Galutinis Tiklas, Soprano et Vulkano. Dans les trois cas, la blondeur immaculée impressionnait autant que celle de la Lengvas à 5% et les céréales étaient légèrement miellées entrelacés d’un fruité herbacé très doux. À part les pourcentages d’alcool sur les étiquettes (8,1%, 8,3% et 8,7%), rien ne semblait distinguer une bière de l’autre… Mais elles étaient toutes agréables à boire, sans aucun défaut ou note d’éthanol exagérée.
Mais pourquoi donc faire trois produits ‘différents’ avec les mêmes ingrédients et les mêmes saveurs?! Sachant que le gouvernement lituanien perçoit des taxes à chaque brassin selon le pourcentage d’alcool de la bière produite et que, n’ayant pas de laboratoire bien équipé, les brasseurs ne peuvent prévoir exactement quel pourcentage d’alcool les techniciens du gouvernement découvriront, il nous apparaît plausible que certains brasseurs comme Joalda, Biržų Alus et Rinkuškiai, pour ne nommer que ceux-là évoluant dans la région, produisent des étiquettes démontrant des noms et des taux d’alcool différents afin de ne pas se faire prendre en faute par le gouvernement. Ce ne serait donc pas des bières réellement différentes, mais plutôt la même bière ayant fermentée un tout petit peu plus ou un peu moins. Pour l’instant, c’est ce que vos humbles détectives de la broue tirent comme conclusion sur ce sujet.
Dvareliškiu Alus
Voilà un autre brasseur campagnard qui nous a marqué, mais pour des raisons insoupçonnées. Blotti au fond d’un chemin boueux non sans rappeler certaines cabanes à sucre traditionnelles du Québec, cette brasserie concocte des Kaimiškas Alus, ces bières de la campagne du nord-est qui, selon ce que nous avions appris au préalable, étaient parfois non bouillies et fermentées à l’aide de souches de levures ancestrales mutées par le temps et, sûrement, le surmenage.
Notre guide l’avait contacté à l’avance; nous étions attendus. À notre arrivée en face de la modeste brasserie, aucun signe de vie. Le silence… et quelques bouteilles de plastique, remplies, sur les dalles de béton en face de la porte d’entrée. Après quelques minutes d’attente, un homme rabougri en salopettes de travail sort d’une porte en haut de l’escalier extérieur (photographié ci-dessus) puis, sourcils froncés et d’un ton direct, nous dit une ou deux phrases de toute évidence peu accueillantes, pointant vers les bouteilles. Avec l’approbation de nos deux accompagnateurs lituaniens, nous avons finalement pu prendre ces bouteilles afin de les déguster plus tard dans la journée.
Leurs trois bières, une Šviesus (blonde), une Tamsus (brune) et une Su Medumi (au miel) étaient toutes empreintes des notes terreuses communes à ces Kaimiškas Alus, enduites de sucres miellés et d’angles minéraux, le tout dans un corps à peine gazéifié. Elles ne possédaient pas la cohésion des excellentes Jovaru Alus ou Morkūno Alus, par exemple, mais leur origine était claire: ce sont des bières de la campagne lituanienne. Rien d’autre au monde ne leur ressemblent.
Linkuvos Alus (E. Mozūro)
Dans le hameau de Linkuva, un autre brasseur de Kaimiškas Alus s’affaire à offrir sa bière à son voisinage. Faute de temps, nous n’avons pu le visiter en personne, mais nous avons tout de même fait preuve de chance. Notre arrivée à Vilnius, la capitale, coïncidait avec la gigantesque foire artisanale Kaziuko Mugė, foire qui domine de nombreuses rues et places publiques de la ville pendant trois jours. Et un kiosque parmi les quelques centaines représentait, vous l’aurez deviné, la brasserie de M. Mozūro. Nous avons donc pu découvrir sa bière qui nous fascinait avant même de l’avoir bue.
Elle nous fascinant tout simplement parce que nous avions entendu dire qu’il était possible que ce brasseur ne rajoute pas de levures pour fermenter sa bière… Des rumeurs couraient à l’effet que ‘le mur’ de sa brasserie contienne tous les micro-organismes nécessaires à la transformation fermentaire. Malheureusement, vos détectives de la broue doivent s’avouer vaincus n’ayant pu élucider ce mystère lors de ce premier voyage en Lituanie. Cependant, la piste gustative laissée par la bière de Mozūro est profonde. L’intense rusticité de son caractère fermentaire (rappelant la terre mouillée et la poussière) rendait la dégustation difficile, ce qui est chose rare dans ces contrées. Les céréales miellées et les houblons herbacés avaient beau tenter d’insuffler une personnalité accueillante à cette bière, mais… disons pour l’instant qu’elle nous rappelait vaguement le caractère de l’ouvrier rabougri rencontré chez Dvareliškiu Alus.
Raginelis
Raginelis est un autre brasseur campagnard du coin de Pasvalys brassant une bière captivante par son terroir évident. Celle-ci s’appelle la Kaimynu Sventinis. Subtile et équilibrée, elle propose des céréales miellées et bien toastées, signature des malts d’orge de Lituanie, agrémentées de délicats esters de banane et d’une touche terreuse aussi commune aux Kaimiškas Alus. Nous avons également pu découvrir sa bière grâce à la foire du Kaziuko Mugė à Vilnius. En se promenant à Pasvalys, notre guide nous a confié que ce brasseur ne voulait tout simplement pas accueillir d’étrangers. Avec les histoires que nous avions vécues et entendues depuis le début du périple, il n’y avait rien de surprenant dans cette révélation. Un autre cas à reléguer au dossier ‘Second voyage d’exploration brassicole en Lituanie’…
La suite de ce guide de voyage brassicole nous amènera à Biržai, tout juste à l’est de Pasvalys. Dans cette petite ville oeuvre une multinationale, une microbrasserie d’envergure, deux autres plus modestes et des brasseurs-maison ne pouvant vendre leurs bières commercialement. Mais rien ne les empêche de nous inviter chez eux pour échanger quelques sourires, croyez-nous!